Eastern Plays marquait la naissance d’un auteur bulgare plus que prometteur. Un premier film presque miraculeux, du genre à créer les espoirs les plus fous pour la suite. Et la suite c’est The Island, présenté dans l’indifférence la plus totale à la Quinzaine des Réalisateurs en 2011 et qui sort dans une indifférence toute aussi embarrassante. Mais il s’agit là d’une situation que Kamen Kalev a malheureusement bien cherché tant son second film transpire la prétention ridicule. Après avoir réussi l’exploit de trouver l’universel à travers l’intime, il se fourvoie dans un surréalisme grandiloquent en tous points ridicule, se perdant totalement dans son projet qui lui échappe au bout de 15 minutes de film. Si la première partie se suit gentiment malgré la sensation de réchauffé, la suite est d’une bêtise ahurissante. The Island c’est un peu le surréalisme pour les nuls qui rencontrerait le souvenir contrarié d’Antonioni, une œuvre bâtarde qui s’égare en cours de route et qui cherche à se poser en leçon de vie. Non seulement c’est raté, mais ça voudrait en plus donner l’exemple. Le constat est surtout effrayant quand on voit à quel point un réalisateur plein de promesses est capable de sombrer ainsi dès son deuxième film.
Le point de départ de The Island a déjà été vu 1000 fois. Un couple qui ne sait plus s’aimer joue la carte de la dernière chance en tentant les vacances à l’étranger sur une île isolée. Lieu symbolique hors de l’espace et du temps qui permet autant un retour aux sources qu’une possible ouverture vers l’avenir. C’est un sujet de cinéma classique qui a donné bien des beaux films, mais qui aura donc également donné The Island. Le couple, notion que Kamen Kalev avait déjà exploré dans son film précédent et qui l’intéresse assez peu cette fois tant son sujet s’impose au fil des bobines : l’homme. L’homme au passé trouble, l’homme faillible, l’homme blessé, faible et sujet à la tentation. Plus que de se rapprocher de sa femme qui lui échappe d’entre les doigts, c’est à la rencontre de lui-même qu’il va. De ses origines, culturelles, familiales mais surtout psychologiques. Alors c’est très bien tout ça, on nous montre un type qui doute et qui est visiblement très troublé sur cette île, qui pique des grosses colères et change de centre d’intérêt du jour au lendemain, mais cela ne mène nulle part. The Island prend la voie de la quête initiatique et c’est exactement le moment où le film passe du médiocre au ridicule. En sortant le personnage de Laeticia Casta du cadre, il élimine un personnage devenu crétin pour concentrer toute son énergie sur un connard envers lequel on ne ressent jamais la moindre empathie. Ainsi on suit son chemin de croix existentiel d’être humain vidé de toute substance pour se créer une nouvelle identité. Entre le mystère des habitants de l’île auquel il ne prête qu’un intérêt fugace, un coup de théâtre symbolique qui n’est pas loin de provoquer des fous rires et une vision mentale qui part dans le grand n’importe quoi, difficile de se raccrocher à quoi que ce soit de solide. Daneel erre sans but dans les bois et au milieu d’une rivière, rencontre un type qui rit très fort et met des tomates en boîte, et tout le “scénario” est à l’avenant. C’est bien beau de faire intervenir Alejandro Jodorowsky dans l’introduction mais il n’est pas la caution suffisante pour livrer un film vraiment surréaliste. Et un accouchement d’un bocal de tomates plus tard, il ne fait plus aucun doute qu’on se trouve là face à une vaste fumisterie qui ne fera que plonger encore et encore dans les profondeurs de la bêtise.
Dans son troisième acte, The Island s’invente une vision assassine de la téléréalité. On passe d’une forme d’isolement à une autre sans que naisse une véritable réflexion derrière. Le bizarre pour le bizarre, cela n’a pas grand intérêt. On ne comprend ni les motivations des personnages ni leur relation traitée par dessus la jambe. Lui n’en a plus rien à faire d’elle et devient une sorte de Jean-Claude Van Damme sous coke de la pire époque, Kamen Kalev assénant à travers ses paroles des lieux communs élevés au rang de vérité universelle visionnaire jusqu’à un point où tout devient très gênant. On vous épargnera de révéler le plan final et sa ligne de dialogue, suivi d’un épilogue tout aussi grotesque, mais sachez qu’on atteint là un niveau de ridicule qui fait froid dans le dos. Kamen Kalev joue avec des outils qu’il ne maîtrise visiblement pas, se frotte au surréalisme et au symbolisme mais n’a pas les épaules pour s’en contenter. Ainsi, il rend les armes assez clairement quand, suite à une séquence névrotique avec les tomates, il se sent obligé d’expliquer à travers les mots d’un personnage que la couleur rouge symbolise la colère. Non seulement il prend alors le spectateur pour un idiot, mais il fait également preuve d’un manque d’assurance tragique dans l’utilisation de ces outils symboliques. Le tout est bien entendu truffé de plans contemplatifs franchement lourdingues sur la présence de la nature et porté par une composition lyrique tout aussi grotesque. Concrètement, mis à part la première partie qui aurait pu donner lieu à quelque chose de passionnant et le duo d’acteurs très à l’aise malgré la débâcle générale, The Island a tout d’un bon gros foutage de gueule.