[Critique] Abandonnée (2006)

Après Génésis, son dernier court métrage de la trilogie de la mort (avec the Awakening et le terrible Aftermath) qui aura fait découvrir à la planète entière un auteur hors du commun, il aura fallu attendre 8 ans pour qu’enfin des producteurs lui fassent confiance et lui permettent de réaliser son premier long métrage… C’est presque scandaleux quand on voit l’immense potentiel présent dans ses courts! Mais plutôt que de râler inutilement, profitons de ce film fantastique espagnol qui risque avec les années de devenir son plus beau porte-drapeau tant il écrase à peu près tout ce qui a été produit dans le pays… et pourtant entre le cinéma de Balaguero, Plaza et Amenàbar, le cinéma de genre ibérique possède déjà de superbes atouts. Mais Cerdà apporte son univers complètement torturé, le résultat est un véritable cauchemar sur pellicule, une oeuvre psychologiquement violente, visuellement splendide d’une profondeur thématique presque inhabituelle pour le genre… le choc!

Tourné en anglais, en Bulgarie, Abandonnée tranche pourtant avec les courts de la trilogie de la mort. Certes la thématique morbide est toujours d’actualité mais le traitement est différent. Pas de poésie à la Génésis ou de réalisme cru à la Aftermath. Ici Cerdà plonge dans le fantastique pur tout en nous invitant à la réflexion. En cela le film se détache également de l’ensemble de la production horrifique espagnole, qui privilégie l’horreur instantanée. Ici le film nous hante longtemps après le générique terminée, le temps de mettre le puzzle en ordre et le message est d’autant plus effrayant qu’il est absolument pessimiste, nous mettant face à notre propre peur de la mort…

Mais Abandonnée n’est pas pour autant un film “prise de tête”, on peut très bien simplement profiter du cauchemar qui se déroule sous nos yeux sans chercher à creuser plus loin. On peut y voir donc un film de fantômes terriblement efficace même si un peu confus au niveau narratif. On peut se délecter du travail remarquable sur l’image et le son (le label THX n’est pas volé!). Tout le film baigne dans des teintes jaunâtres et verdâtres d’une Russie rurale, malsaine et crade qui viennent appuyer le côté terriblement glauque de l’histoire. C’est superbe! On peut y voir une réminiscence moderne de l’Au-Delà de Fulci même si le réalisateur s’en défend car les couleurs et cette maison y font beaucoup penser!

La mise en scène de Cerdà est toute dédiée à son scénario extrêmement intelligent (écrit par Cerdà, Richard Stanley et Karim Hussain). Tout tourne autour de l’enfermement. La maison est encerclée par une rivière, le présent rejoint le futur… il n’est pas étonnant de voir quantité de mouvements de caméra circulaire qui viennent isoler de plus en plus Marie et Nicolaï qui se croyaient confrontés à des fantômes mais se retrouve en fait face à face avec leur propre mort (les doppelgangers, des doubles qui ont alimenté nombre de grands films). Le message du film est à la fois simple et vraiment déprimant, on n’échappe pas à son destin, même après 40 ans il nous rattrapera toujours…

S’entourant de deux très bons acteurs, Anastasia Hille (The Hole , la sagesse des crocodiles…) et Karel Roden (Blade II, Hellboy, la peur au ventre…) qui n’ont aucun mal à nous perdre et à nous faire vivre intensément leur calvaire, Nacho Cerdà signe une oeuvre singulière qui le place comme LE réalisateur à suivre.

Effrayant, choquant, magnifique… tant d’adjectifs qui pourraient définir cette merveille espagnole qui ose s’éloigner d’une mise en scène trop passive et assume ses débordements gores tout en étant fier de sa culture fantastique. On pourrait dire que c’est la naissance d’un talent mais non, il est déjà né cinématographiquement il y a déjà plus de 10 ans. C’est une confirmation et on espère qu’il pourra encore nous faire vivre d’aussi beaux cauchemars très vite car c’est du grand art!!!